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Mayotte, l'île de la Mort

Ahmed Ibn Majid (1418/1432 - 1500), navigateur arabe réputé, savant et océanographe, conduisit Vasco de Gama jusqu’en Inde. Sur leur route, il en profita pour cartographier l’Océan Indien en détail, et fut le premier à citer l’île de Mayotte sous le nom de « al mawt » (« al maouti » ou « la mort »), sans doute du fait de sa barrière de corail difficilement franchissable, pour qui n’en connait pas les passes étroites et qui causa de nombreux naufrages.

Le lagon, connut des Arabes, aurait été un refuge pour leurs navires, pris en chasse par les Portugais, au moment de leur installation au Mozambique et à Zanzibar, à partir de 1498. Ces derniers venaient fracasser leurs bateaux sur la barrière de corail, pendant que les boutres arabes empruntaient les passes pour s’abriter près de l’île.

Mayotte serait une francisation de ce nom arabe maouti.

Plus tard, les navigateurs européens apprendront à repérer les passes qui mènent au lagon, et l’île offrira une escale propice au ravitaillement des pirates qui sillonnent l’océan indien au début du XVIIIe siècle.

Chassés des caraïbes par la flotte britannique, les pirates font voile vers la route des Indes, où les bateaux du grand Moghol et des compagnies des Indes néerlandaises, françaises, ou britanniques offrent des proies faciles.

La plupart des pirates hivernent à Madagascar, en attendant le retour des Alizés, mais certains optent pour Mayotte. Daniel Defoe, alias Capitaine Johnson, nous livre quelques témoignages du passage des flibustiers par Mayotte, dans son Histoire générale des plus fameux pyrates de 1724.

Mayotte, île de la mort

Le Capitaine Johnson illustre bien le danger que représente le platier corallien du lagon pour les navires. Olivier La Buse (1690-1730) lui-même, flibustier de l’océan indien dont la tombe est encore visible à la Réunion, y aurait fait naufrage. Peut-être son fameux trésor y est-il encore englouti…

« Nous arrivâmes à une île située près de Madagascar nommée Juana (NdlA : Anjouan). En y entrant rafraichir notre équipage nous y trouvâmes quatorze pirates venus de Mayotte dans des canots, qui nous apprirent que le vaisseau auquel ils appartenaient, l'Indian Queen, parti de Guinée et faisant voile vers l'Inde, jaugeant 250 tonneaux, monté de 28 pièces de canons et servi par 90 hommes (Capitaine Olivier La Bouche - ou Levasseur dit La Buse), s'y était brisé et perdu. Ils avaient laissé là-bas le capitaine avec 40 hommes travaillant à la construction d'un nouveau vaisseau, et comptaient bien retourner sous peu à leurs noires occupations. »

Lettre du Capitaine Mackra, de Bombay, du 16/11/1720, citée dans la vie du Capitaine England, Histoire générale des plus fameux pyrates.

Mayotte, île escale

Mayotte est le plus souvent une escale, plus ou moins longue, sur la route des Indes, où les flibustiers renouvellent leurs provisions d’eau et de viande salée et y carènent leurs bateaux. Une carte anonyme de 1680 confirme en effet que Mayotte est une île « aussi riche en vivres que toutes les autres (îles des Comores). Elle a plusieurs jolies rivières d’eau douce qui viennent des montagnes ». La colonie hollandaise du Cap était alors trop bien protégée par les navires de guerre hollandais ou britanniques pour s’y aventurer.

« James résolut de mettre le cap sur Mayotte où il donna l'ordre de démâter et de transporter le gréement sur la prise. Cette île regorge de provisions bon marché : on put s'y ravitailler en abondance. L'équipage y trouva aussi un canot à 12 rames qui avait appartenu naguère au Ruby, vaisseau de guerre de la Compagnie des Indes, et qu'on avait abandonné là. James et ses hommes séjournèrent à Mayotte environ 6 mois, pendant la mousson, puis ils firent route vers Madagascar. »

Dans la vie du Capitaine Read, Histoire générale des plus fameux pyrates.

John Bowen (ou Jean Bouin ? -1705) fait aussi escale à Mayotte avec le ketch du Capitaine Read, faisant voile vers Madagascar.

« Le capitaine (White) décida de mettre le cap sur Mayotte, y caréna, y attendit l'heure propice pour entrer en mer rouge. » Il y fait des provisions. « L’heure propice » est sans doute plutôt la période propice, en fonction des vents Alizés qui ne soufflent vers le nord que pendant l’hiver austral (été boréal).

Le roi, ou plutôt le sultan, de Mayotte semble bien disposé à l’égard des pirates qui passent par son île. Partenaires commerciaux, alliés utiles lors des guerres fratricides entres les îles de la Lune (Comores), féroces mercenaires dont il valait mieux se débarrasser au plus vite … quelles que soient les raisons, les pirates obtenaient du sultan ce qu’ils désiraient.

La Capitaine Johnson explique que l’équipage du Capitaine Thomas White « rejoint Juana sur un petit canot, puis Mayotte, dont le roi leur avait fait construire le bateau qui les amenait à Methelage (latitude 16°40' – NdlA : vraisemblablement aux alentours de l’actuelle Mahajunga) ».

Plus tard, l'équipage du Capitaine William passe par Mayotte également.

« Mayotte, une île longue de 18 lieues seulement. Ils en connurent le roi qui leur fit construire une embarcation et leur donna des vivres grâce auxquels ils vinrent toucher Madagascar ».

Dans les vies des capitaines Thomas White et David William, Histoire générale des plus fameux pyrates

Mayotte, île des rencontres secrètes

Le Capitaine John Bowen et son équipage « firent voile vers Mayotte où ils trouvèrent enfin, ancré à la rade » le Fortuné, Capitaine Thomas Howard (1760-1838). « Cela se passait aux environs de Noël 1702 […] C'est là que les deux compagnies (Bowen et Howard) s'allièrent formellement [...] La nouvelle société demeura plus de 2 mois sur cette île, la jugeant peut être aussi favorable qu'une autre pour y guetter une proie. Et de fait, aux premiers jours de mars, le Pembroke, de notre Compagnie des Indes orientales, fut abordé et saisi alors qu'il s'approchait pour faire de l'eau ».

Les deux équipages ont vraiment dû apprécier l’hospitalité des habitants, puisqu’ils décidèrent, après une partie de chasse en mer, de s’y retrouver encore.

Le Fortuné, « comme convenu » jeta l'ancre à « Mayotte, l'île fixée pour le rendez-vous », « où il attendit quelques temps le navire de Bowen (Le Speedy Return)... » qui avait pris du retard car « des vents contraires l’empêchaient de rejoindre Mayotte » depuis Madagascar.

Mayotte, île des pirates

Le Capitaine Nathanael North (1671- 171 ?) nourrissait de plus noirs dessins à l’égard de Mayotte. Une île pauvre, peuplée de pécheurs armés uniquement de sagaies et de chombos (petites machettes à bout rond pour un usage agricole, servant à la fois de coupe-coupe, de pelle, de bèche, etc.), mais dont les quelques richesses dont dispose le sultan attisent la convoitise. Faute de trouver des proies en mer, le pirate semble juger l’occasion trop belle pour ne pas en profiter.

Laissons le Capitaine Johnson nous conter cette triste histoire, bien représentative de l’état d’esprit des pirates, qualifié d’ hostis humani generis ; ennemis du genre humain, par le droit maritime.

Le Capitaine North et son équipage « gagnèrent ensuite Mayotte, où ils savaient pouvoir trouver un français abandonné sur l'île et entretenu par le roi. Ils le consultèrent sur la manière de surprendre son maître et de conquérir la ville. L'homme, qui devait la vie au roi, s'opposait à une telle expédition. Mais d'autre part, il était à la merci des pirate et obligé d'agir comme eux l'entendaient. Après avoir passé trois jours dans la ville, ils encerclèrent le palais du souverain et le capturèrent, ainsi que tous les habitants. Le fils du monarque, cependant, parvint à se frayer, à coups de sabre, un chemin parmi les assaillants ; il devait par la suite tomber sous leurs balles. Pour justifier leur abominable injure aux règles de l'hospitalité, les pirates prétendirent que le roi avait empoisonné l'équipage d'un bateau ami, ce qu'il nia vigoureusement, à juste titre, puisque l'histoire était pure invention. Ils transportèrent alors l'infortuné souverain à leur bord et enfermèrent les autres prisonniers dans une sorte de temple, sous la surveillance d'une garde de trente-six hommes.

Pendant ce temps, la nouvelle de l'attaque était venue aux oreilles des gens du pays : des milliers de naturels accoururent et se ruèrent sur la garde. Le bruit de la fusillade alerta les pirates. Apercevant les collines couvertes de noirs, ils déclenchèrent un tir de leurs cannons chargés de grenades, causant un véritable carnage dans les rangs des naturels, et les obligeant à la retraite.

Pour acheter sa liberté le roi dut donner à ses agresseurs des chaines d'argent pour un montant d'un millier de dollars et toutes les provisions qu'ils exigèrent ; en outre, il lui fallut leur rendre hommage lorsqu'ils le débarquèrent, reconnaître qu'ils étaient les maîtres du pays et faire le serment de ne plus jamais empoisonner aucun homme blanc.

Après cette mémorable expédition, nos forbans séjournèrent sur l'île une quinzaine de jours, mais en restant sur leurs gardes. Puis ils regagnèrent Augustin (au sud-ouest de Madagascar) avec à leur bord environ vingt esclaves dont ils désiraient faire leur domestiques. »

M Pauly, de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Mayotte, nous apprend que le sultan qui subit ces exactions serait Ali ben Omar dont on sait que la succession posa problème du fait de la mort de son fils Hussein vers 1701/1702 et marqua le début des rivalités entre les différentes branches aristocratiques mahoraises.

Tsingoni, la ville à laquelle il est fait référence, est alors la capitale du sultanat de Mayotte. Le temple est évidemment la Mosquée de Tsingoni, fondée en 1538, comme en atteste une inscription sur une pierre du Mihrab.

Quant aux milliers de « naturels », le chiffre n’est peut-être pas tant surestimé, car une carte de 1680 nous apprend que « Legatonhill (Tsingoni), où le roi habite et où il y a une mosquée » doit « contenir plus de mille hommes » (carte plus haut).

Plus loin dans le texte sur la vie du Capitaine North, Johnson laisse entendre que North fit une seconde expédition sanglante à Mayotte, mais il confond probablement Madagascar et Mayotte

« Il s'en revint ensuite à Madagascar mais incapable de contourner le cap nord du fait du courant, il dut virer de bord et rejoindre Mayotte. Là (à Mayotte donc…), il jeta l'ancre dans le port de Suarez (sic – La port de Diego Suarez se trouve à la pointe nord de Madagascar) où il était entré quelques temps auparavant un bateau anglais commandé par un certain Prince. En matière de représailles (car il ne trouve rien à voler sur le bateau anglais) North accosta avec son équipage, brûla une grande ville (laquelle, Diego Suarez ? Tsingoni ? Cela n’est pas précisé) et fit tout le mal possible. Quittant Mayotte, il retourna à Madagascar... »

Les nombreuses approximations et contradictions de ce passage le rendent difficilement exploitable. Il est toutefois certain que North connaissait Mayotte, y séjourna, et y laissa probablement un très mauvais souvenir.

Mayotte, Al Maouti, l’île de la mort, l’île secrète, riches en vivres et en eau fraiche, mais méconnue car protégée par sa funeste barrière de corail, ne fut rien de plus qu’une escale sur la route des Indes pour les pirates, comme en témoigne le Capitaine Johnson. Elle ne devint pas la nouvelle île de la Tortue (repaire des pirates des caraïbes) de l’hémisphère sud. Les autres îles de l’archipel de la Lune, notamment Anjouan (Juana), ou Mohéli (Mohilla) étaient davantage fréquentées, plus accessibles, moins dangereuses et surtout la grande île, Madagascar, dont la côte offre de nombreuses baies abritées. L’honneur revint plutôt à l’ile Sainte Marie, à l’est de Madagascar. Certains flibustiers s’y installèrent définitivement, donnant même naissance à une nouvelle ethnie, les Malates.

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